Les Bordeaux rouge : la cotation des millésimes
Posté le 03/05/2012
Il y a des régions du monde, comme au Chili ou en Argentine, où la constance du climat entraine la constance des vins. D’une année sur l’autre, celui-ci est immuable. Standard, en somme. A Bordeaux ce n’est pas le cas. Sous une latitude tempérée comme la notre, les variations climatiques rendent chaque millésime unique.
Cela fait un moment qu’on me le demande, voici le baromètre des derniers millésimes bordelais, pour les vins rouges. Je consacrerai d’autres articles pour les blancs, puis pour d’autres régions françaises, mais concernant les Bordeaux rouge, il en fallait bien un et nous commencerons par celui-ci.
Quelques précisions tout de même : ces commentaires sont généraux et n’ont pas vocation à être science exacte. Sur un même millésime, une appellation ou une propriété peut par exemple mieux réussir son vin qu’une autre. Notamment en raison des cépages différents qui n’arrivent pas à maturité en même temps. De même, l’appréciation donnée devra être adaptée selon qu’on a affaire à un petit ou à un grand vin. Généralement, pour les apprécier pleinement, je dirais à titre personnel que les Bordeaux AOC sont à boire dans les 5 ans, les vins de qualité supérieure dans les 10 ans, les plus grands vins pouvant déjà être appréciés mais pouvant aussi attendre au-delà.
Vous noterez aussi qu’un millésime classique, voire plutôt réussi, pâtit généralement du succès du millésime précédent ou suivant. C’est le cas pour les 1999 et 2001, mais aussi pour les 2004 et 2006, ou encore pour 2008 (et 2011 ?), auxquels ont fait de l’ombre les fameux 2000, 2005, 2009 et 2010.
Vous pouvez poser vos questions dans les commentaires sous l'article.
LES BORDEAUX ROUGE : LA COTATION DES MILLÉSIMES RÉCENTS
2016 : coming soon... Pour rappel les vendanges ont lieu à la fin de l’été et au début de l’automne. ;)
MILLÉSIME 2015 : TOP – PROMETTEUR
Pour l'instant, je me contenterais de dire que l'été fût le plus chaud et sec depuis 2010. Le rapport entre l'ensoleillement et la pluviométrie est primordial, cette seconde devant être inversement proportionnelle à l'importance du premier. Or il a plu à chaque fois qu'on commençait à se dire que cela ferait du bien. C'est sur de bons rails.
MILLÉSIME 2014 : CLASSIQUE – FRUITÉ ET ÉLÉGANT ?
Il est encore un peu tôt pour se prononcer mais les vins arrivent progressivement sur le marché. La campagne des primeurs a confirmé l'aperçu que j'avais eu dans les chais à Cars et ce millésime 2014 se présente comme une bonne année.
MILLÉSIME 2013 : DÉLICAT – FIN ET FRAIS
Les Bordeaux ont changé de style depuis 2000 et, hormis les années chaudes, ont gagné en maturité mais aussi en fraîcheur. Sur une année aussi pluvieuse que 2013, on oscille même entre fraîcheur et vivacité car l'acidité est bien présente. Si la tenue des vins dans le temps exige cette acidité, elle requiert aussi une bonne extraction tannique lors des vinifications. Or les faibles maturité l'ont rarement permis car les tanins étant assez verts il était délicat de les extraire. La plupart des viticulteurs ont donc misé comme en 2007 sur la production d'un vin charmeur, facile à boire. C'est aussi une année où on reconnaitra les grands vignerons.
MILLÉSIME 2012 : CLASSIQUE – FRAIS ET HARMONIEUX
Il est encore un peu tôt pour se prononcer mais tel est le premier bilan après les primeurs. Du fruit, de la fraîcheur, de l'élégance... Un millésime tout de même délicat pour le Cabernet-Sauvignon, ainsi la qualité serait davantage au rendez-vous sur la rive droite. Si c'est une année à Merlot, les vins seront certainement prêts à boire plus rapidement. A confirmer quand les vins arriveront sur le marché.
MILLÉSIME 2011 : CLASSIQUE – FRUITÉ ET ÉLÉGANT
Une année classique à Bordeaux, c’est une bonne année. Le viticulteur est content, le consommateur aussi ! Dans l’ensemble le millésime est réussi. C'est l'impression que j'ai eu lors de la dégustation des primeurs des Crus bourgeois du Médoc où j’ai pu goûter un certain nombre de vins. De même, chez Sabourin Frères à Blaye (Cars), j’ai pu goûter quelques cuves de très bon niveau. Les premiers 2011 que j'ai goûté confirment cette impression. De l'élégance, et du fruit.
MILLÉSIME 2010 : TOP – RICHE ET HARMONIEUX
On pensait 2009 inégalable, 2010 est déjà un millésime d’anthologie ! Il gagne en finesse là où 2009 impressionnait par sa puissance, en étant presque aussi concentré. Les grands vins étant toujours en cours d’élevage, il va falloir patienter encore quelques mois avant leur arrivée sur le marché.
MILLÉSIME 2009 : TOP – RICHE ET PUISSANT
Des conditions climatiques optimales ont permis de signer un millésime dantesque. Concentration, puissance, combien de fois ai-je entendu que c’était, tout simplement, « du jamais vu ! », y compris dans les chais de Cars ? Encore très jeune pour être pleinement apprécié aujourd’hui, idéalement le 2009 mérite qu’on attende encore un peu.
MILLÉSIME 2008 : CLASSIQUE – FRUITÉ ET ÉQUILIBRÉ
Un été sec a conduit à de petits rendements. Dans ces conditions, la qualité en profite de manière inversement proportionnelle à la quantité. Nos palais ne s’en plaindront pas, d’autant que le vin est maintenant appréciable. Une aération en carafe est toujours préférable avec des vins jeunes, plutôt pendant 3 heures qu’une seule d’ailleurs.
MILLÉSIME 2007 : INÉGAL – FIN ET ÉLÉGANT
Un été pluvieux conduit forcément à une dilution en raison d’une alimentation supérieure en eau, moins de concentration. Le résultat produit des vins plus souples, plus fins, qui n’en sont pas moins élégants. Ils sont prêts à boire maintenant. Je dirais même qu’il faut les consommer, ce n’est pas ce qu’on appelle un millésime de garde. Alors autant se faire plaisir maintenant.
MILLÉSIME 2006 : CLASSIQUE – ÉQUILIBRÉ ET ÉLÉGANT
Un millésime dans l’ombre du géant 2005. Il ne faudrait pas croire qu’il s’agit d’une année moyenne, ce n’est pas le cas. Les vins ont une certaine densité, un bouquet complexe et d’autres qualités à faire valoir.
MILLÉSIME 2005 : TOP – ENTRE L’HARMONIE DU 2010 ET LA PUISSANCE DU 2009
On pensait qu’il s’agissait du millésime du siècle, qu’on ne ferait jamais mieux. Le fait qu’on ait au moins égalé ce résultat spectaculaire en si peu de temps coup sur coup en 2009 et 2010 s’explique d’une part en raison du réchauffement climatique (du moins, le climat change dans un sens favorable à la maturité du raisin), d’autre part grâce à la constance des progrès de l’œnologie. Avec une richesse comparable à ses illustres successeurs, 2005 n’a rien à leur envier.
MILLÉSIME 2004 : CLASSIQUE – ÉQUILIBRÉ ET STRUCTURÉ
Comme le 2006, ce millésime a pâti du succès du 2005. Or de bonnes choses ont été faites cette année-là, il serait dommage de passer à côté.
MILLÉSIME 2003 : TRÈS BON – CONCENTRÉ ET ROND
Souvenez-vous, c’est l’été de la canicule. Un millésime annonciateur des succès à venir, avec un bémol au niveau de l’acidité qui permet de conserver les vins, pas toujours présente. Certains, très bons jeunes, se sont fatigués plus vite ensuite et ont perdu de leur superbe. D’autres, nombreux, sont toujours magnifiques.
MILLÉSIME 2002 : INÉGAL – DOUX ET ÉQUILIBRÉ
Un millésime évolué pour lequel je conseillerais, hormis sur les pointures, de ne pas trop attendre.
MILLÉSIME 2001 : CLASSIQUE – ÉQUILIBRÉ ET HARMONIEUX
La majorité des vins ont atteint leur apogée. Même observation que pour 2002.
MILLÉSIME 2000 : EXCELLENT – CONCENTRÉ ET ÉLÉGANT
Une très belle réussite ! Certains diront qu’elle est marketing, la filière surfant sur l’effet 2000, néanmoins on ne peut contester qu’il s’agit bien d’une très belle année.
Pour les millésimes plus anciens, hormis pour les grands châteaux, il est temps de boire ces vins. Je me contenterais par ailleurs de commentaires d’ordre plus général et moins subjectifs, ayant moins de recul (plus un millésime est ancien, plus il est rare et moins on a l’occasion de le goûter et donc de l’évaluer).
D’autant qu’on peut parler à plusieurs égards d’une époque révolue. Les raisins étaient globalement vendangés moins mûrs, ce qui ne pardonnait pas avec les pluies automnales. La concurrence, moins accrue, permettait encore au vigneron de produire un millésime en-deçà. Aujourd’hui, la crise de la filière viticole française ne tolère plus d’impair. Dans le Bordelais, au cours de la dernière décennie, le nombre de producteurs a diminué d’un quart en quelques années. Les plus petits en général. Ceux également qui n’ont pas su s’adapter. Produire le vin est un art, le vendre est un autre exercice très différent et pas moins difficile. Enfin, sont toujours là ceux qui ont investi dans un équipement moderne qui contribue aussi à assurer la qualité exigeante demandée par le marché actuel. Le vin, c’est plusieurs métiers. La production en est un, la vente aussi, la gestion aussi. La conséquence de cette évolution ? On consomme moins, mais mieux. Avec un petit décalage dans le temps, on pourrait aussi dire : on produit moins, mais mieux.
LES BORDEAUX ROUGE : LA COTATION DES MILLÉSIMES ANCIENS
MILLÉSIME 1999 : TRÈS BON
Assez ressemblant à 1998, il est en souvent sous-coté car précédent un millésime dont la publicité a été menée tambour battant par la filière. On ne change pas de millénaire tous les ans.
MILLÉSIME 1998 : TRÈS BON
Malgré un mois de septembre pluvieux, et en raison d’un été chaud et sec, il s’agit d’un millésime réussi.
MILLÉSIME 1997 : CORRECT
Millésime réputé de garde limitée. A noter une saison exceptionnellement précoce : les vendanges ont commencé le 15 août, un cas unique au siècle dernier !
MILLÉSIME 1996 : BON
Voire très bon pour le Médoc, un peu moins pour la rive droite dont la vigne, sur un sol plus argileux, a moins apprécié une pluie estivale abondante.
MILLÉSIME 1995 : TRÈS BON
Avec des conditions météo très favorables, c’est le plus beau millésime depuis 1990 malgré une production importante.
MILLÉSIME 1994 : MOYEN
Encore de la pluie – les vignerons ne surveillent pas la météo pour rien ! – après un bel été… certains grands crus ont déclassé une partie de leur récolte pour avoir plus de concentration, c’est un signe qui ne trompe pas.
MILLÉSIME 1993 : CORRECT
Un climat semblable à 1992 où il y a eu beaucoup d’eau après un été chaud et sec. Mais tout de même mieux réussi.
MILLÉSIME : 1992 MOYEN
Inégalement réussi dans le Bordelais, avec une quantité importante et des pluies violentes après l’été…
MILLÉSIME 1991 : FLOP
Des gelées terribles au printemps, un bel été et… beaucoup de pluie en septembre ! De nombreux domaines ont déclassé partie ou tout de leur récolte. Ainsi, Petrus n’existe pas en 1991.
MILLÉSIME 1990 : TOP
Année très chaude, superbe concentration.
Pour les années 80, je ferais la même observation que pour les millésimes 1990, avec un constat plus marqué encore : hormis pour les grands châteaux, il est en général grand temps de boire ces vins s’il n’est pas trop tard. Je dis bien « en général » car deux de mes plus beaux souvenirs sont des 1990 dégustés en… 2011. Et malgré plus de 20 ans d’âge, ils étaient d’une fraîcheur incroyable !
Le cycle de vie du vin est le suivant : difficile à boire quand il est trop jeune, parfait à son apogée (en moyenne au bout de 5 ans), le vin décline ensuite lentement, perdant son corps et sa rondeur. Il se décharne. Ses arômes fruités sont remplacés par des notes animales (gibier, cuir, fourrure…). Personnellement j’apprécie moins les secondes, mais il parait que cela change avec les années (les nôtres ! – il n’y a pas que le vin qui évolue, notre palais aussi).
LES BORDEAUX ROUGE : LA COTATION DES MILLÉSIMES DE LA DÉCENNIE 1980
Millésime 1989 : excellent
Millésime 1988 : très bon
Millésime 1987 : correct
Millésime 1986 : très bon
Millésime 1985 : très bon
Millésime 1984 : mitigé
Millésime 1983 : bon
Millésime 1982 : très bon
Millésime 1981 : bon
Millésime 1980 : médiocre
Evidemment, si vous retrouvez une vieille bouteille dans votre cave, si c’est un grand cru elle sera certainement encore à son avantage. Le temps patine les vins comme le cuir. Ainsi comme un cuir porté, les vieux vins ont leurs amateurs. Les arômes fruités ont laissé la place à des arômes témoins de l’évolution du vin. Le bois, toujours présent, n’est plus accompagné par la fraise, la framboise ou la mûre, mais par des notes animales. Mais ces observations doivent tenir compte de l’excellent potentiel de garde de certains vins, grands crus en tête, classés très souvent. Ceux-ci vieillissent beaucoup plus lentement et là on un bon vin classique paraitra fatigué, un classé pourra paraitre très fringuant. Il sera vieux aussi, mais plus tard.
Donc, surtout, ne mettez pas votre vieux vin à l’évier ! Il n’y a pas de date de péremption, un vieux vin s’apprécie également et, dans le pire des cas, un vin passé reste sain. Vous ne vous empoisonnerez pas avec. Cependant ne vous forcez pas pour autant si vous n’êtes pas convaincu. Et puis, comme on a parfois de mauvaises surprises, on en a parfois de bonnes et certains vins peuvent mieux se conserver qu’on n’aurait pu le penser. Un seul moyen de le savoir… Avec un dernier conseil : un excès d’oxygène peut précipiter le vieillissement du vin, donc si on conseille généralement de carafer les vins jeunes pour les aérer afin qu’ils s’ouvrent et divulguent leurs arômes, cela peut s’avérer risqué avec les vieux vins.