Quel est le prix d'une bouteille de Pomerol ?
Posté le 08/02/2024
À la découverte de l'AOC Pomerol : petite appellation, Grand Vin
L'AOC Pomerol, nichée dans la région viticole bordelaise, est une appellation petite par la taille mais grande par la réputation. Elle couvre en effet 800 hectares environ, ce qui représente moins de 1% de la surface viticole du département de la Gironde. Or ses vins ont acquis, essentiellement au cours du siècle dernier, une réputation mondiale. Certains de ses crus sont parmi les plus prestigieux du Bordelais, avec un choix quasiment inexistant sous la barre des 20 euros. Comptez même plusieurs dizaines d'euros pour les valeurs sûres voire plusieurs centaines pour les plus légendaires. L'appellation Pomerol produit exclusivement des vins rouges et le Merlot règne en maître absolu, le complément éventuel étant généralement assuré par le Cabernet-Franc. Point de vin blanc à Pomerol : pour en trouver, il faudrait remonter deux siècles en arrière !
Histoire de l'appellation Pomerol : la naissance d'un terroir
Comparé aux grands crus du Médoc et de Saint-Emilion, la notoriété des vins de Pomerol est récente. Bernard Ginestet, comme beaucoup d'auteurs, fait remonter la création de ce petit vignoble à l'installation des chevaliers Hospitaliers au 13e siècle. Au milieu du 14e siècle, si les moines ont initié un petit commerce, c'est bien dans l'ombre des marchands de Bordeaux et de Libourne, jaloux de leurs monopoles. En 1850, Charles Cocks dans son ouvrage qui deviendra plus tard le Guide Féret - Bordeaux et ses Vins, classés par ordre de mérite - omet volontairement de distinguer un seul cru de Pomerol, les incluant dans l'aire de Saint-Emilion sans s'y attarder. En 1881, Le Guide Féret, surnommé de nos jours en Gironde « la Bible des vins de Bordeaux », rapporte que les vins de Pomerol sont « très recherchés, surtout depuis quelques années ».
C'est en réalité dans les années 1850 que démarre l'essor des vins de Pomerol, accompagnant plus largement celui des vins de Bordeaux, grâce au développement des échanges internationaux. L'Europe traverse une période de paix et la production viticole girondine va en profiter grâce aux situations portuaires de Bordeaux et Libourne. Cette période voit bon nombre de « vins de paroisse », désignés ainsi par le nom de leur commune d'origine, sortir de l'anonymat : les étiquettes identifiant les crus se multiplient. En 1868, la nouvelle édition du Bordeaux et ses Vins, classés par ordre de mérite désigne les principaux propriétaires de Pomerol. Il faut attendre 1874 et la publication par Edouard Féret d'une Statistique Générale du Département de la Gironde pour avoir une première description des vins de Pomerol, qu'il reprendra au mot près dans son guide : « bien colorés, corsés, moins capiteux et moins alcooliques que ceux de Saint-Emilion ; mais plus moelleux, plus coulants, et plus vite buvables ». Une description presque actuelle étonnante de véracité, cette précocité le rendant plus vite buvable ayant contribué à faire apprécier et connaitre les vins de l'appellation. Cette buvabilité précoce tient probablement à la combinaison d'un sol graveleux ou sableux et du Merlot, plus avenant dans sa jeunesse que le Cabernet-Sauvignon.
Ainsi cet envol succède à celui, antérieur, des vins du Médoc. Les marchands bordelais, originaires du Nord de l'Europe pour la plupart, ont asséché le marais médocain situé aux portes de Bordeaux et qui restait une terre vierge à conquérir, le transformant en vignoble digne de ce nom au long des 17e et 18e siècles. A l'inverse, les vignobles des Graves, anciens, étaient déjà un ensemble de petits domaines morcelés. Même chose pour ceux de la rive droite... accessibles seulement en traversant soit le large estuaire de la Gironde soit deux grands fleuves que sont la Garonne et la Dordogne. Le premier pont est construit à Bordeaux par Napoléon en 1805. Assécher le Médoc permettait donc pour cette nouvelle aristocratie viticole bordelaise d'y implanter à la fois de vastes domaines et de belles demeures secondaires, permettant de joindre l'utile à l'agréable. Cela explique la taille des domaines dans le Médoc, où le plus vaste cru classé nous semble être Château Lafite-Rothschild avec une centaine d'hectares. En comparaison, Petrus et Château La Conseillante couvrent respectivement 11 et 12 hectares. Le Château de Salles est le plus vaste avec près de 50 hectares. Prenons la taille moyenne des 140 exploitations de Pomerol, 6 hectares, ce qui est bien peu en comparaison des 20 hectares pour les 5.000 exploitations girondines (et, pour rester à Pauillac, la surface moyenne y est deux fois supérieure en raison de la présence de vastes domaines, mais cela reste encore faible en raison de nombreux petits propriétaires : 110 environ en tout, sur 1.200 ha).
Au Moyen-Âge, le vignoble du Médoc n'existait pour ainsi dire pas encore et celui de Pomerol passait donc sous les radars. Les vins les plus prisés, notamment à la cour d'Angleterre, étaient ceux des Graves et de Blaye, de Bourg aussi. Comment expliquer l'évolution qui a suivi ? La Guerre de Cent Ans a marqué un coup d'arrêt après la victoire française à Castillon : l'armée français a pillé la Haute-Gironde jusqu'ici aux mains des Anglais, connaissant une soudaine chute démographique suivie d'un repeuplement progressif venant des Charentes. Toutefois, au 17e siècle, la valeur des vins du Blayais est encore légèrement supérieure à celle des vins de Saint-Emilion. En réalité, quand la demande a augmenté, certains vignobles ont pu soutenir l'offre en plantant dans les palus, ces zones humides en bordure des rivières : Garonne, Dordogne et estuaire de la Gironde. On en trouve notamment à Blaye et Bourg, ou encore à Fronsac, où ils ont fait baisser la qualité et les prix des vins (et avec lui leur image !) mais ni à Pomerol ni à Saint-Emilion. A l'exception du Fronsadais, les vins du Libournais ont donc pu maintenir leur qualité, et donc, associée à une certaine rareté, des prix élevés. Néanmoins, il faudra attendre la seconde moitié du 19e siècle pour que Pomerol bouscule l'ordre établi.
Pomerol : une hiérarchie claire mais pas de classement officiel
Les vins de Pomerol ne pouvaient donc prétendre au fameux classement de 1855. D'une part, Napoléon III avait adressé sa demande en vue de son exposition universelle à venir uniquement à la Chambre de commerce de Bordeaux : alors même que Libourne avait sa propre chambre de commerce, celle-ci a été oubliée, et avec elle les vins du Libournais d'une manière certainement injuste. Il faudra attendre un siècle et 1955 pour que Saint-Emilion répare cette injustice avec la reconnaissance de son premier classement officiel. D'autre part, on l'aura compris, les vins de Pomerol auraient été logiquement oubliés en 1855, tout simplement parce qu'ils n'avaient pas encore acquis de véritable notoriété. C'est sans doute la petite taille de l'AOC et la forte demande pour sa production rare qui explique l'absence de classement officiel : elle n'en a pas eu besoin pour faire connaitre ses vins. Et si, admettons cette hypothèse, il y avait eu un classement des vins de Pomerol ?
La hiérarchie actuelle s'entrevoit déjà quand l'AOC Pomerol est créée en 1936. Elle reprend l'aire qui avait été précédemment définie par Edouard Féret en 1886 et qui ajoutait au seul village de Pomerol la plaine sablo-graveleuse située au nord-est de Libourne. En 1929, le Bordeaux et ses Vins d'Edouard Féret place les meilleurs crus de l'appellation au même niveau que ceux du Médoc et de Saint-Emilion, obtenant sur le marché les mêmes prix de vente que ces derniers. Les meilleurs Pomerol font dorénavant partie de l'élite du Libournais. Château Certan qui était le cru le plus réputé depuis 4 décennies voit un certain « Domaine Pétrus » passer en tête des crus de Pomerol à cette période, au sein d'une liste qui est alors tout de même riche de 120 noms.
En 1949, la 11e édition du guide Féret établit la hiérachie suivante :
- 1er des Grands Crus : Petrus
- Grands Crus : Vieux Château Certan, L'Evangile
- Premiers Crus : un certain nombre, en tête desquels figure La Conseillante.
- Deuxièmes Premiers Crus : plus nombreux.
- 2es Crus : encore plus nombreux.
A l'époque, c'est encore le prix de vente (au tonneau) connu par les courtiers de Bordeaux qui départage les vins, sur chaque commune, comme lors des deux siècles précédents.
En 1984, Bernard Ginestet établit une classification moins formelle (et assurément plus simple !) dans son ouvrage dédié à Pomerol. Recensant tout de même 151 « châteaux » (pour beaucoup de petits îlots), il attribue 3 notes, distinguant ainsi 3 catégories, selon la qualité du vin. Et sans doute sa réputation. Il y adjoint un symbole indiquant la nature du sol, que nous allons rapporter pour mieux y revenir après. Petrus maintient son rang sans difficulté puisqu'il le distingue comme étant le seul cru « hors classe », un statut à part à la manière d'Yquem à Sauternes. Voici les autres vins qu'il distingue (par ordre alphabétique et avec la nature de leur sol principal) comme étant parmi les meilleurs Pomerol, après Petrus. Et qu'on pourrait considérer, en s'inspirant du classement des Saint-Emilion, comme les « premiers crus » de l'appellation s'il y avait un classement officiel (encore que depuis 1984, il y aurait bien quelques ajouts et probablement une distinction entre premiers et seconds, ou premiers grands crus et « simples » grands crus) :
- Château Beauregard = graveleux et sableux
- Château Certan de May = graves profondes
- Château Certan-Giraud = graves profondes (renommé Château Hosanna après sa cession par la famille Giraud aux Ets Moueix en 1999)
- Château Gazin = graves profondes
- Château La Conseillante = graves profondes
- Château La Fleur = graves profondes
- Château Le Gay = graves profondes
- Château La Fleur-Pétrus = graves profondes
- Château Lagrange = graves profondes
- Château La Pointe = graves fines sableuses
- Château Latour à Pomerol = graveleux et sableux
- Clos l'Eglise = graves profondes
- Château L'Eglise-Clinet = graves profondes
- Château L'Evangile = graves profondes
- Château Nénin = graveleux et sableux
- Château Petit-Village = graveleux et sableux
- Château Trotanoy = graves profondes
- Vieux Château Certan = graves profondes
Tous ces grands vins ont un point commun : des sols de graves, comme les vins les plus réputés du Médoc. A l'exception notoire de Petrus dont le sol est essentiellement argileux. Et dans une moindre mesure de Trotanoy pour la même raison, ce vin arrivant dans la hiérarchie juste derrière Petrus selon Bernard Ginestet, comme étant "le plus complet après lui". Idem pour deux autres crus qui formeraient ainsi un premier quarté gagnant avec Vieux Château Certan et L'Evangile.
La nature des sols de l'appellation Pomerol
Bernard Ginestet différencie dans son ouvrage 8 types de sols, soit une véritable mosaïque pour un si petit territoire. Pour les grands vins précédemment cités, seuls 2 types de sols apparaissent (3 avec Petrus). L'auteur y adjoint des caractéristiques supposément conférées par ces types de sols sur la nature même du vin qui y est produit.
- Argileux : richesse, puissance (c'est donc le type de sol de Petrus, même si en réalité c'est plus complexe, nous allons y revenir en même temps que la crasse de fer, ci-dessous)
- Graves fines sableuses : vigueur, profondeur
- Graveleux et sableux : moelleux, équilibre
- Sablo-argileux : délicatesse, fraîcheur
- Sableux : nervosité, minceur
- Sablo-graveleux : finesse, distinction
- Graves profondes : rigueur, race
- Graveleux-calcaire : vivacité, sève
Précisant que certains crus reposent sur différents types de sols, il en ressort néanmoins une prédominance nette de sols graveleux et sableux. Les crus moins réputés sont situés sur des sols plus sableux, ce qui produit des vins plus minces ou, si vous préférez, plus légers donc de moins bonne garde - ce qui est encore une réalité ici ou ailleurs. Au milieu de cette plaine viticole, où les meilleurs crus bénéficient donc de sols graveleux, Petrus est un peu l'exception avec sa situation sur une "boutonnière" argileuse. Celle-ci constitue le petit point culminant de l'AOC avec une altitude plafonnant à 40 mètres. Oublions ce chiffre qui est peut-être le point culminant le plus bas pour une AOC viticole girondine (pour l'AOC Côtes de Bourg on frise les 100 mètres, pour les Côtes de Blaye et Saint-Emilion comme Sainte-Croix-du-Mont on les dépasse). On retiendra plutôt la situation unique à Pomerol de Petrus sur une butte argileuse assurant une régulation hydrique parfaite tout au long du cycle végétatif de son vignoble. Mais ce n'est là pas la seule originalité du domaine le plus réputé de l'appellation Pomerol...
En effet, surprise et non des moindres quand on sait que Pomerol a bâti une part de sa réputation sur la fameuse crasse de fer : Petrus n'en a pas ! On retrouve celle-ci dans les sols graveleux, qui sont précisément absents à Petrus... CQFD. Il nous parait intéressant de rapporter ici plus en détail la composition du sol de Petrus, qui montre que les choses sont parfois plus subtiles qu'on peut le penser. Le professeur Henri Enjalbert rapporte en 1983 que la composition des sols de Petrus est composée ainsi (gageons qu'elle n'a pas changé depuis). En surface, dans les 20 cm supérieurs : 64% de sables, 23% de limons et 13% d'argiles. Ce sont des sables grossiers, avec quelques graviers. A un demi-mètre de profondeur : 53% de sables, 29% de limons et 18% d'argiles. A près d'un mètre : 26% de sables, 20% de limons et 54% d'argiles. Il y a encore assez de sable pour faciliter le drainage, l'argile permettant de stocker l'eau pour la redistribuer en période de sécheresse.
La fameuse « crasse de fer » : mythe ou réalité ?
Elle est présente dans le sol, mais c'est quoi cette crasse de fer ? Pour ceux qui en ont entendu parler, est-ce un simple mythe ou une réalité ? Même pour certains producteurs, elle serait une rare et mystérieuse qualité qui permettrait de produire des vins plus singuliers ou, si vous préférez, meilleurs. Vous entendrez peut-être qu'elle ne se trouve qu'à Pomerol, presque auréolée d'une aura mystique. Sous ce nom, au départ, peut-être bien oui. Précisons au préalable que l'étymologie de ce mot issu de la métallurgie vient du latin « crassus » qui signifie gras, épais, grossier. Une définition par un spécialiste nous aidera à voir plus clair. Citons à nouveau Henri Enjalbert en tant que grand géographe français du 20e siècle et spécialiste des terroirs - il enseignait d'ailleurs à l'Université de Bordeaux où il a fini sa carrière comme Directeur de l'Institut de Géographie :
« Pour tous ces terroirs sableux, les notations anciennes (depuis le Second Empire) ou récentes des Féret, signalent dans le sous-sol de la crasse de fer. On ne sait pas trop dans quelle mesure cette tradition est fondée... La crasse de fer est donc une formation fossile. Il s'agit d'un héritage. Sans quoi sa présence évoquerait un mauvais drainage et un milieu acide. Ce qui n'est pas le cas, surtout quand l'écoulement des eaux a été artificiellement amélioré. La crasse de fer a donc perdu la signification défovarable qu'elle aurait eu si on en était resté, pour le cycle de l'eau, aux conditions de sa genèse. Sa présence est au contraire favorable si tant est que le fer des grès fossiles du sous-sol apporte un mieux à la production viticole. Ce que l'on peut admettre avec nombre de bons auteurs."
Au final, Henri Enjalbert précise que la crasse de fer est un alios, soit - et voilà ce qu'est la fameuse crasse de fer - une forme de grès. Si ce n'est que celui-ci serait riche en fer : ce terme d'origine landaise, alios, désigne le résultat d'une solidification des sables en présence de colloïdes (particules de 1 à 1 000 nanomètres de diamètre) et d'oxyde de fer, probablement sous l'effet de l'érosion, de la pluie dans ce cas précis avec l'infiltration de l'eau dans le sol. Son aspect est celui d'un grès rougeâtre plus ou moins dur. D'ailleurs, souvent, cette teinte rouge est visible en surface à l'oeil nu. On retrouve ce type de sol dans la plupart des crus de l'appellation mais pas uniquement, par exemple au Château Latour et au Château Mouton-Rothschild à Pauillac, pour ne citer qu'eux. Les Côtes de Bourg ont aussi parmi leurs différents terroirs des sols de graves rouges... Le grès est plus solide que le sable dont il est finalement un assemblage solide mêlé de sédiments : il revêt l'apparence d'un calcaire très friable. Le professeur explique ainsi que la crasse de fer pourrait plutôt entraver un bon drainage naturel, soulignant le paradoxe des vertus qu'on lui prête... sans insister pour une bonne raison : dans les vignes, ce support étant relativement perméable, friable, il favorise un bon enracinement des vignes. Et dans le verre, il n'y a pas de hasard : les vins produits à Pomerol contiennent une proportion de fer supérieure à la moyenne observée en Gironde.
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SOURCES
Cet article a été rédigé par Alexis Sabourin principalement à partir des ouvrages suivants :
-> Guides des éditions Féret, dont édition 1881
-> Pomerol, Bernard Ginestet, 1984 (collection Le Grand Bernard des Vins de France)
-> Les Grands Vins de Saint-Emilion, Pomerol, Fronsac d'Henri Enjalbert (1983)
NB : Ces ouvrages sont des mines d'informations historiques sur le vignoble Bordelais. Bernard Ginestet qui fût négociant et dont la famille possédait Château Margaux dans le Médoc a produit une collection entière de livres dédiés au grand public, principalement sur les appellations bordelaises. Il a commencé avec Pomerol. Henri Enjalbert est plus technique mais si son oeuvre est plus studieuse à lire et en cela davantage réservée aux passionnés, elle est superbe.
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