Les Seconds Vins des Grands Crus de Bordeaux, histoire et définition
Posté le 23/01/2024
La pratique des Seconds Vins nait avec Château Haut-Brion au XVIIe siècle. Celui-ci a d'abord commencé à vendre sa production sous le nom du domaine, créant ainsi la première marque viticole à une époque où le vin était vendu en tonneau anonymement aux marchands. Dans les deux cas, c'est une révolution alors que la plupart des seconds vins bordelais sont nés seulement au cours des dernières décennies. Pour vous donner un ordre d'idée : celui de Château Margaux prend sa genèse au XIXe siècle et se nomme Pavillon Rouge à partir de 1908, Les Carruades de Lafite se dessine tout au long du XXe siècle et son nom se fixe en 1986. Chez Mouton-Rothschild, Mouton Cadet nait en 1930 avant de devenir une marque commerciale - Petit Mouton aura pour premier millésime le difficile 1993. Les Forts de Latour apparait en 1966. Voilà pour les Premiers Grands Crus Classés. Si un autre classé, Château Pichon-Longueville Comtesse de Lalande, envoie son second vin à l'Exposition de Moscou en 1874, la production d'un second vin demeure exceptionnelle à cette époque et se généralisera... dans les années 1980.
NB : Un autre article abordant le sujet avait été publié par Alexis Sabourin en 2012 : La pratique des Seconds Vins
Celui-ci est plus détaillé, s'attachant plus en détail à leur histoire.
Les Seconds Vins : une bonne définition
Dans leur sillage, Jean-Michel Cazes sera à l'origine du 2nd vin de Château Lynch-Bages, Grand Cru Classé à Pauillac, avec le millésime 1976. Lui donnant d'abord le nom d'une petite propriété acquise quelques années plus tôt, Château Haut-Bages Averous, il le renommera par la suite Echo de Lynch-Bages. Cette figure incontournable des grands crus du Médoc résume ainsi parfaitement dans son autobiographie ce qu'est un « deuxième vin » :
« Cette pratique, alors peu répandue, a pour objectif d'améliorer la qualité de la première étiquette et de produire par ailleurs un vin qui vieillira sans doute moins bien, mais sera agréable à consommer plus rapidement, tout en restant représentatif du style de la propriété. » (Bordeaux Grands Crus, La Reconquête - Jean-Michel Cazes, éditions Glénat 2022 - un ouvrage très intéressant pour qui aime l'histoire du vin, son auteur ayant connu les années d'après Guerre, la crise du vignoble jusque dans les années 70 puis le renouveau auquel il a activement participé).
Entre le premier et le second vin d'une propriété, on a donc une signature commune aux deux vins. En effet, si le premier est issu des meilleures parcelles et reçoit un élevage en barriques plus long, le deuxième est produit sur le même terroir avec la même attention, le même savoir-faire, ils ont inéluctablement en commun un air de famille.
Les Seconds Vins : un intérêt pratique pour le producteur comme pour le consommateur
Pour le producteur, l'intérêt est de réserver à son grand vin les meilleurs lots. Les cuvées moins qualitatives, provenant de parcelles de vignes moins qualitatives (car plus jeunes ou moins bien exposées), sont ainsi déclassées dans le second vin. Les meilleurs sont inversement réservées au « grand vin », qui est le « premier vin » du domaine. En 1976, devant composer avec le conservatisme de son père, Jean-Michel Cazes produit le 2nd vin de Lynch-Bages avec seulement 10% de la production totale de la propriété. Celle-ci montera les années suivantes à 30 ou 40%. Mais en éliminant seulement 10% du volume le moins qualitatif de la production du château, il permet au premier vin de gagner véritablement en qualité. Ainsi, les critiques noteront mieux le premier vin lors des dégustations en primeur, lui assurant un meilleur prix de vente. Celui du second vin suivant également, c'est une stratégie qui s'est finalement avérée doublement gagnante : de nos jours, certains seconds vins ont une valeur qui dépasse de loin celle qui valait jadis pour le premier vin du même producteur.
Pour ce qui est du style, le premier vin affiche toujours une concentration tannique plus élevée que son second : matière première plus qualitative, extraction des tanins supérieure au cours des fermentations puis apport de tanins avec un élevage en barriques plus long, et enfin une proportion supérieure de fûts neufs. Des barriques de 1 vin ou 2 vins (= ayant été utilisées pour 1 millésime, ou 2) ont un apport tannique moindre, un peu à la manière d'un sachet de thé qu'on réutiliserait. Le premier vin est plus dense, plus puissant, et demande plus de temps pour arriver à maturité, quand le second vin est plus souple, moins tannique, et prêt à boire plus vite.
Pour le consommateur, l'intérêt est surtout de deux ordres. D'une part, il s'agit de pouvoir acquérir un vin relativement proche en qualité du premier vin pour un prix plus abordable. La réputation du domaine ainsi que son savoir-faire apparaissent comme une garantie de la qualité du vin. D'autre part, cela permet de pouvoir apprécier ce second vin plus rapidement, quand le premier nécessite généralement près de 10 ans de vieillissement avant de pouvoir être apprécié à sa juste valeur. Inversement, certains seconds vins voient leur valeur augmenter avec celle de leur aîné. Ils représentent alors eux aussi une meilleure valeur... alors qu'on voit apparaitre des troisièmes vins !
Au final, retenons que, comparé au premier vin d'un domaine, le second vin présente un style proche avec un caractère plus souple, ce qui le rend appréciable plus jeunes, avec une qualité assez proche de celle du premier vin.
Le cas particulier de Mouton Cadet, initialement second vin d'un cru classé devenu « simple » marque commerciale
Un 2nd vin, en toute logique, est généralement produit sous la même AOC que le grand vin du domaine. Pas toujours, par exemple La Légende de Château Fonréaud est produit en AOC Haut-Médoc alors que Fonréaud est un Listrac-Médoc. Vu sa notoriété, il parait nécessaire d'aborder le cas particulier de Mouton Cadet. Né en 1930, il est à l'origine bien issu des vignobles de Château Mouton-Rothschild à Pauillac. Mais la forte demande qu'il a connu - avec des millions de bouteilles vendues - a rapidement conduit à une évolution par la force des choses : Mouton Cadet devenant en une décennie une pure marque commerciale, c'est-à-dire distincte des vins produits par le domaine. Ainsi la marque Mouton Cadet passe en quelques années de l'appellation Pauillac à l'appellation Haut-Médoc puis finalement en simple Bordeaux. A mesure que la demande augmentait, il fallait des volumes toujours plus importants que les producteurs d'une appellation communale comme Pauillac ou semi-régionale comme Haut-Médoc était incapable de fournir.
Pour différencier : le second vin d'une propriété est issu des vignes du même domaine viticole que son grand vin (ou premier vin), alors qu'une simple marque commerciale peut provenir d'approvisionnements de raisins ou de vins provenant de plusieurs domaines différents. Bien sûr, le premier vin d'un domaine (comprenez par là sa meilleure cuvée) ne doit pas être confondu avec la mention Premier Cru, qu'on retrouve dans diverses régions de France dont Bordeaux avec les Premiers Grands Crus Classés. Un Premier cru produit forcément un premier vin, qui est alors premier cru... Mais un domaine hors classement peut aussi produire un premier vin, un second vin, etc. Revenons à nos moutons ! Il est probable que le grand public aura associé l'aura et le prestige du Premier Grand Cru Classé Château Mouton-Rothschild à la marque Mouton Cadet, malgré une différence de prix notable. De fait, Mouton Cadet était bien dans les années 1930 le second, soit le cadet, du Premier Grand Cru Classé Mouton-Rothschild. Et par la suite, il bénéficiera toujours du même nom (Mouton) et de la même gestion (celle de la Baronnie, l'entreprise du visionnaire Philippe de Rothschild, qui possède le célèbre cru classé).
Si le Château Mouton-Rothschild produit dorénavant (depuis 1993) et à nouveau un véritable second (un petit frère nommé très à propos « Le Petit Mouton »), Mouton Cadet a donc été rapidement issu d'approvisionnements extérieurs au domaine. D'abord, le vin provenait de producteurs voisins de Pauillac puis, face au succès commercial la Baronnie trouva finalement les quantités nécessaires auprès de grands producteurs, certains indépendants et d'autres, la plupart de nos jours, des coopératives. Cela a peut-être longtemps expliqué un niveau jugé criticable par un certain nombre d'observateurs : qualité et quantité sont un défi à concilier. Cela explique aussi, avec la mue et les progrès des coopératives, le niveau actuel du vin dont les progrès récents peuvent être soulignés.
L'expression de Second vin n'est cependant protégée que pour les classements comme celui de 1855 qui dinstigue 5 rangs dont les Deuxièmes ou Seconds Grands Crus Classés. L'usage a consacré le terme de Second vin avec leur systématisation dans les années 1980. Par extension, le vin blanc du domaine est souvent désigné avec le nom du Second vin rouge. Par extension encore, la Maison Girondine et la Famille Sabourin proposent dans la même logique 3 vins rouges et 1 vin blanc en AOC Blaye Côtes de Bordeaux :
Une liste de Seconds Vins référencés sur le site de la Maison Girondine
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- Blason d'Issan, AOC Margaux, second vin de Château d'Issan, Troisième Grand Cru Classé en 1855