Marques domaniales et marques commerciales, quelles différences ?
Posté le 16/01/2012
La marque de vin domaniale est celle d’une propriété. La marque de vin commerciale est celle d’un négociant. Comment les différencier ? Quel intérêt ?
La marque commerciale, apanage du négociant
Tout d’abord, une marque commerciale peut être cédée séparément de la propriété qui l’exploite, ce qui n’est pas le cas de la marque domaniale : le terme château renvoyant à l’existence d’une exploitation, celle-ci et sa marque sont indissociables et ne peuvent être vendues séparément. Mais l’intérêt d’une telle distinction tient peut-être davantage à la recherche de la qualité pour l’amateur : non pas que les marques commerciales soient du jus de chaussettes, mais les crus les plus prestigieux sont tous issus de propriétés, non de négociants – même si un négociant peut par ailleurs être propriétaire, et inversement – et sont vendus parfois plusieurs dizaines ou centaines d’euros quand les vins de négoce les plus en vogue atteignent rarement 10 euros. Un élément figurant sur l’étiquette permet d’identifier directement le vin issu d’une propriété, c’est le terme « château ». Les équivalents comme « domaine », « clos », « mas », « moulin »… ont la même valeur. Cela dit, un vin de coopérative peut aussi apposer ces termes sur ses vins, comme n’importe quelle propriété qui est libre d’inscrire le terme « château » sur ses bouteilles, ou pas. L’exemple le plus frappant est l’illustre Petrus à Pomerol, souvent appelé à tort « Château Petrus ». Peut également être cité le « Grand Vin » de Latour, non moins célèbre Premier Cru Classé à Pauillac. Actuellement, toutefois, cela ressemble à un luxe réservé aux crus les plus fameux.
La marque domaniale, marque de producteur
Le cru, parlons-en. C’est justement sur cette base qu’on doit apprécier la marque domaniale, la marque « de château ». Celle-ci repose sur l’existence matérielle d’un cru bien réel. Des parcelles de vigne qui, ensemble, forment un cru exploité par une propriété. La marque domaniale, « de château », correspond donc à une unité de production autonome (un chai essentiellement) organisée autour d’un cru, soit d’un vignoble précisément localisé. S’il manque ce vignoble et que le vin ne provient pas du producteur mais d’autres propriétés, alors la marque est commerciale. Le vin provient bien de crus, mais correspond souvent à une variété de crus épars : couramment, le négociant se fournit auprès de plusieurs producteurs indépendants ou de caves coopératives, les approvisionnements pouvant varier d’une année sur l’autre afin que la différence de millésime ne soit pas trop marquante. Le vin doit avoir le même goût chaque année pour ne pas déstabiliser un consommateur non averti. Pour cette raison, les marques commerciales sont généralement estampillées AOC Bordeaux : cela permet au négociant d’assembler des vins de Blaye et de Bourg comme le fait Malesan, ou de n’importe quelle commune ou appellation de la Gironde, l’AOC Bordeaux correspondant à peu près au tracé départemental. La marque commerciale repose donc sur cette homogénéité. Le producteur indépendant, lui, s’affranchit volontiers de ces considérations : si les conditions le permettent, il essaiera de tirer le meilleur de chaque millésime, avec plus ou moins de réussite selon les aléas du métier, climat en tête. Parfois, il se peut aussi qu’un producteur ait également une activité de négoce et produise un vin de château issu de sa production et une marque commerciale afin de bénéficier d’une certaine souplesse : il peut produire sa marque domaniale d’un côté, et déclasser les cuvées qu’il estime moins qualitatives pour en faire un second vin, s’approvisionner chez un voisin lui permettant d’avoir sensiblement les mêmes volumes à proposer pour honorer un contrat avec un gros client.
Les seconds vins, marque domaniale ou marque commerciale ?
A cet égard, un cas particulier ayant précisément un rapport avec la pratique des seconds vins mérite un petit détour : Mouton Cadet. Autrefois, il s’agissait du second vin d’un autre Premier Cru Classé de Pauillac, le Château Mouton-Rothschild. Aujourd’hui, il s’agit d’une marque commerciale car le vin n’est plus issu de la propriété. Et ce depuis fort longtemps : de mauvais millésimes dans les années 30 avaient conduit le propriétaire à déclasser une partie de sa production destinée au premier vin dans un second vin, baptisé pour l’occasion Mouton Cadet, ce dernier terme soulignant la parenté entre le premier et le second vin. Après la Guerre, d’excellentes années permettent de se passer de faire un second vin. La marque Mouton Cadet a continué à être commercialisée mais, alors qu’elle a été popularisée comme étant le petit frère du prestigieux Mouton (donc a priori comme marque domaniale), avec des vins issus d’autres propriétés, beaucoup moins prestigieuses celles-ci (devenant de cette façon une marque purement commerciale). Il est vrai que si l’absence du terme « château » dans le nom de la marque désignant le vin élimine le caractère domanial, la présence du terme « Mouton » laisse subsister une certaine ambiguïté. Certains pourraient même y voir une pratique délibérément déceptive… Et nul doute que de nombreux consommateurs pensent acheter quelques gouttes de l’illustre Premier Cru Classé, sinon de son petit frère, alors qu’il n’en est rien. Ceci étant, le nom de la marque commerciale Mouton Cadet et celui de la marque domaniale Mouton-Rothschild, s'ils partagent un élément commun avec le mot "Mouton", possèdent un autre élément qui permet une distinction : "cadet" pour l'un, "Rothschild pour l'autre" - la confusion relèverait alors d'un problème de fond et non de forme (le terme cadet faisant bien référence à un second vin).
En conclusion, pourquoi condamner les marques commerciales ? Sauf exception, l’amateur averti s’orientera vers les marques de château. C’est pour le consommateur néophyte qu’elles présentent un intérêt : afin de ne pas désorienter ce consommateur, le vin affiche une régulière homogénéité d’un millésime sur l’autre. Ainsi, en 2010 comme en 2012, on sait à quoi s’attendre en achetant une marque commerciale. Et pour la filière, cela représente un débouché non négligeable car les volumes commercialisés sont considérables.