Oenofolies 4 : dégustation de vin élevé en mer au Château Larrivet Haut-Brion
Posté le 19/11/2012
Samedi 17 novembre 2012, fin de matinée : le Château Larrivet Haut-Brion, situé dans l’AOC Pessac-Léognan à proximité des Châteaux Haut-Bailly et Carbonnieux, organisait pour un petit groupe d’amateurs une dégustation plutôt spéciale, en tout cas très originale. Celle-ci consistait à répondre à la question suivante : le vin vieillit-il mieux en mer ?
On remarquait en effet au XIXe siècle que le vin jeune expédié en tonneaux aux Indes, était meilleur quand il en revenait. L’intendant du château Latour, du temps du classement de 1855, se félicitait même que son vin était celui qui résistait le mieux à ces voyages en mer.(*) Le goût, non seulement très subjectif, évolue par ailleurs considérablement avec le temps. Aussi cette expérience a-t-elle tout son sens.
De quelle expérience parle-t-on au juste ? Celle d’immerger un tonneau de 55 litres dans un bassin d’eau salée du Bassin d’Arcachon. L’ostréiculteur Joël Dupuch(**), proche de l’équipe dirigeante de la propriété, est à l’origine de cette surprenante idée née, comme pour beaucoup d'idées, au cours d'un repas entre amis. Un côté convivial qui rejaillira sur notre visite. Evidemment, une bonde spéciale en acier inoxydable et un cachet de cire rendaient totalement hermétique à l’air ce tonneau, et donc à l'oxygène, ce qui pouvait déjà avoir une incidence sur le vieillissement du vin.(***) Pourquoi 55 litres au lieu de 225, le contenant habituel ? C’était plus simple à transporter, nous répond-on. Logique imparable : 1 litre correspond grosso modo à 1 kilo, sans compter le poids du fût…
Sur place, nous sommes accueillis par Emilie Gervoson, une des trois filles des propriétaires, qui organise cet évènement. Une journaliste de Sud-Ouest et une autre pour Radio Bleu ont fait le déplacement. Après une présentation de l’histoire de la propriété, Bruno Lemoine, le Directeur général, nous rejoint pour une visite des chais. Des cuves en inox, d’autres très récentes en béton (qui confirme un retour en grâce dans le Bordelais), et beaucoup de barriques. J’abrège cette partie car l’intérêt portait avant tout sur la dégustation à suivre, néanmoins les installations sont belles, on sent que des investissements importants ont été réalisés et qu’une attention toute particulière est portée à la qualité des vins, blancs comme rouges.(****)
Nous y voici. Le moment de vérité est apprécié à la lumière du superbe millésime 2009 pour 3 cuvées différentes :
¤ 1er échantillon : élevage en fût classique 14 mois – cuvée classique
¤ 2e échantillon : élevage 6 mois supplémentaires (20 mois au total), toujours dans les chais de la propriété, donc sur terre – cuvée Tellus
¤ 3e échantillon : élevage 6 mois supplémentaires (20 mois au total), cette fois dans un bassin d’eau salée chez l’ostréiculteur Joël Dupuch – cuvée Neptune
Pour éviter que le baricaut ne s’échappe, il était solidement attaché au fond du bassin – avec des chaines. Néanmoins, le flux et reflux marin pouvait bercer la barrique, de sorte que les lies ne restent pas au fond de celle-ci. Si par moments, lors des gros coefficients, la barrique a pu émerger, elle est restée sous l’eau au moins les 4/5 du temps.
Avant d’aller plus loin, la qualité des 3 bouteilles dégustées s’est avérée d’un très bon niveau. Pour donner une idée, Parker a mis une note de 91 sur 100 à Larrivet Haut-Brion 2009. On est donc dans la cour des grands.
VERDICT
Ce qui est intéressant dans cette expérience, davantage que la différence entre les deux premiers vins, c’est celle entre les deux derniers. Le premier vin, élevé moins longtemps en fût, se révèle moins marqué par le bois que le second, très structuré. Le second vin se démarque par une plus forte personnalité due à l’élevage, et on remarque plus facilement son côté chaleureux. 2009 a produit des vins puissants, en voici une illustration. Le troisième vin, au nez déjà, présente un arôme fumé très net.
On retrouve cette sensibilité en bouche, avec quelque chose d’autre qui, de prime abord, est difficile à décrire. Dans mon cerveau, une image de pizza apparait. Je suis d’abord étonné mais, à bien y réfléchir, un côté salé ressort. Je fais le lien avec ces pizzas qui sont souvent très ou trop salées. Un goût salin ressort en effet et un dégustateur près de moi confirme cette impression qui devient de plus en plus évidente. Hormis cet aspect, cette cuvée Neptune parait plus ronde, mais aussi plus lisse (Bruno Lemoine évoquera des tanins « polymérisés »), comme si, effectivement, il était plus vieux.
Bruno Lemoine lève finalement le voile : il y a eu une pénétration d’eau salée (en infinitésimale proportion) et celle-ci a affecté le taux de salinité, devenu proche de celui qu’on trouve habituellement dans une bouteille de Badoit ! Le sel, à ce stade d’évolution, présente l’avantage de polir les jeunes tanins astringents, sa présence est donc bénéfique. Autre élément digne d’intérêt : le degré alcoolique a baissé de manière assez significative, passant de 14,2° à 13,6°.
Sur le moment, la cuvée Neptune se révèle donc peut-être plus agréable à boire que la cuvée Tellus, véritable vin de garde qu’on imagine bien vieillir encore quelques années avant de l’apprécier pleinement. Mais justement, savoir combien de temps le « Neptune » tiendrait le cap est une question intéressante : c’est bien un vieillissement accéléré qu’a subi ce vin qui, en raison de l’absence d’oxygène, n’a pas connu la micro-oxygénation naturelle qui a habituellement lieu en barrique. Pour apprécier son évolution, cette cuvée sera donc goûtée à nouveau au fil des ans par le Directeur général. L’intérêt étant notamment de savoir quel impact aurait un taux de sodium supérieur à la normale dans la conservation du vin.
Pour terminer, nos hôtes avaient prévu un buffet de magnifiques huîtres charnues qui s’est révélé être l’occasion de goûter les Demoiselles de Larrivet Haut-Brion, le second vin blanc de la propriété. Un vin fruité et assez gras, qui a été lui aussi grandement apprécié et a permis à l’assistance de conclure en beauté ce moment privilégié.
Voilà, c’est fini pour le compte-rendu de cette Oenofolie n°4. Un autre tonneau était censé faire un tour du monde sur un voilier, malheureusement celui-ci étant tombé en rade sur la Garonne juste après son départ, cette expérience n’a pu avoir lieu. Malgré le secret entretenu par Emilie Gervoson et Bruno Lemoine sur l’objet des prochaines dégustations des Oenofolies du Château Larrivet Haut-Brion, peut-être tenons-nous malgré tout un indice à ce sujet…
Pour des détails supplémentaires sur les caractéristiques des vins, je vous renvoie au lien ci-dessous, une première dégustation ayant d’abord eu lieu avec des professionnels, notamment Michel Rolland qui est l’œnologue-conseil de la propriété, et le critique Bernard Burstchy, mais aussi Pierre-Guillaume de Chiberry de la tonnellerie Radoux également présent lors de la dégustation du 17 novembre :
http://www.intothewine.fr/magazine/dossiers/l-elevage-du-vin-en-mer-dimension-legendaire-ou-realite-scientifique
PS : Merci à mon accompagnatrice du jour, Elsa Dreyer, pour les photos.
Allez, une dernière pour la route avec ce cliché pris dans les chais qui témoigne de la volonté d'innovation au sein de cette propriété. Ces cuves, réservées au vin blanc, de part leur forme et leur volume, permettent d'entretenir le mouvement des lies, rendant ainsi le bâtonnage accessoire :
(*) Source : 1855, Histoire d’un classement des vins de Bordeaux – Dewey Markham Jr.
(**) Mais si, souvenez-vous : vous l’avez peut-être vu dans le film Les Petits Mouchoirs ; à moins que ce soit sa marionnette aux Guignols de l’Info !
(***) Les opérations ont été réalisées sous contrôle d’huissier afin d’attester de leur bon déroulement. Celui-ci était présent lors de l’immersion de la barrique et lors de son ouverture.
(****) Vous aurez le loisir de le voir de vos propres yeux lors des Portes ouvertes de l’AOC Pessac-Léognan les 1er et 2 décembre 2012, le Château Larrivet Haut-Brion participant à l’évènement. Pour compléter cette info, des promotions y seront faites à cette occasion.